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Le Pelican Rouge
25 juin 2015

L'idéologie du roman national

La réforme des programmes du collège fait rejaillir les discussions sur notre mémoire nationale. Sans qu’on se demande vraiment comment elle est fabriquée. La revue Books a interrogé dans son numéro de juin Kazuo Ishiguro, auteur britannique d’origine japonaise, connu notamment pour son roman « Les Vestiges du jour », adapté au cinéma par James Ivory. Kazuo Ishiguo travaille dans ses romans la question de la mémoire, et c’est très logiquement que Books lui demande comment se construit la mémoire d’un peuple. « C’est une question à laquelle j’ai beaucoup réfléchi », répond l’écrivain. Et il en donne deux preuves. D’abord, il constate que la culture populaire participe autant à la construction de la mémoire collective que « l’enseignement officiel » ; et de citer « La Grande Vadrouille » comme exemple. Et même si ces produits de la culture populaire sont inexacts du point de vue historique, précise Ishiguro, « cela justifie-t-il qu’on [les] censure ou [les] corrige ? ». Ce constat est de bon sens, et en lui-même abyssal. En effet, comment nier le fait que notre mémoire collective soit, pour l’Antiquité par exemple, autant constituée par nos cours d’Histoire et de civilisation latine, que par Astérix et « Gladiator » ? Et même, allons plus loin, que l’« emprise émotionnelle » dont parle l’écrivain soit supérieure quand on regarde un péplum qu’à l’audition d’un cours, en fond de classe et en pleine digestion, d’une introduction à la guerre des Gaules. Twitter « dans 50 ou 100 ans »... Ishiguo ajoute : « Par ailleurs, les nouvelles technologies modifient la donne. Avant, nous avions les livres, la télévision, le cinéma, les journaux. A présent que nous disposons des médias sociaux, on peut se demander ce qui restera dans 50 ou 100 ans des milliers de bribes d’information qui sont diffusés quotidiennement sur Twitter, Facebook, ou Pinterest. Peut-on encore parler de mémoire lorsqu’on atteint un tel degré de fragmentation ? » Encore une magnifique question : quelle mémoire sommes-nous en train de constituer ? Bien sûr, on continue d’écrire des livres, de faire des films et de nous efforcer d’écrire des articles, et on ne peut pas dire que tout cela ne continue pas à jouer son rôle de tri, de légitimation, d’analyse, de représentation (et d’instrumentalisation aussi, évidemment). Mais il y a tout le reste, toutes ces conversations qui pendant longtemps se sont évanouies dans l’air pendant qu’elles avaient lieu et qui aujourd’hui sont archivées. On sait par exemple que la Bibliothèque du Congrès, à Washington, archive Twitter. Et si, aujourd’hui, on ne possède pas encore les outils capables d’en faire quelque chose scientifiquement, il est fort possible que « dans 50 ou 100 ans » les historiens aient à leur disposition les machines et programmes qui leur permettent de travailler cette masse absolument fragmentaire. Et on peut en effet se demander quelle mémoire il en sortira.

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